Omniprésent sur le continent africain depuis une quinzaine d’années – sans oublier un crochet par la Chine – Patrice Neveu fait partie des techniciens européens qui connaissent bien le football arabe. Sans détour, l’expérimenté Français nous raconte ses expériences passées et évoque aussi la perspective de 2022.
« Patrice Neveu, quand on jette un coup d’œil à votre CV, on s’aperçoit que votre première expérience étrangère s’est déroulée au Maghreb…
Au Maroc, plus exactement. Je connais bien Philippe Troussier et en 1999, alors que je voulais travailler hors de France, il m’avait orienté sur le club du Crédit Agricole (Rabat-Salé) dont il connaissait bien le président. Ensuite, j’ai fait connaissance du Belge Henri Depireux, qui était alors l’entraîneur des FAR de Rabat, par l’intermédiaire d’un journaliste de l’Equipe. Je suis parti dix jours avec lui et quand il a quitté le club, je me suis installé dans la maison qu’il occupait.
Quel souvenir conservez-vous du Maroc ?
Ca a été une belle expérience sur le plan sportif, je me suis très vite intégré, senti à l’aise. Le championnat valait bien à l’époque la D2 française. Il y avait deux paquets d’équipes qui jouaient le haut et le bas de tableau, je découvrais des ambiances, avec beaucoup de passion. Et puis il y avait déjà de belles individualités.
Pourtant, vous n’êtes pas resté à l’issue de cette première saison : vous avez rebondi en Tunisie, du côté de Médenine (2000-02)…
Il se trouve que Robert Buigues, le coach de Médenine, a eu un problème de santé, j’ai été appelé pour lui succéder. Le club était alors en D2. La ville, très rurale, est près du désert, aux abords de la frontière avec la Libye. Le club était dirigé par un proche de l’ancien régime tunisien, qui mettait des moyens. On a réalisé une belle série de 23 matches sans défaite qui nous a permis de monter en D1. Une fois en D1, le recrutement était insuffisant, on était au taquet chaque week-end. J’ai eu l’opportunité de partir en Chine en cours de saison, et j’ai quitté Médenine après les matches aller.
Quelles différences avez-vous trouvé entre l’élite marocaine et celle de Tunisie ?
En Tunisie, on jouait un peu plus au sol, c’était plus technique, les clubs misaient plus sur la technique individuelle. C’était aussi moins engagé physiquement qu’au Maroc.
Remplacé alors qu’il se faisait opérer !
Vous n’êtes revenu dans le football arabe que des années plus tard, grâce à un passage en Egypte…
Effectivement. J’ai qualifié la Guinée pour la Coupe d’Afrique des Nations 2006 en Egypte. C’était la première fois que je me rendais dans ce pays. On était basé à Alexandrie, une ville magnifique, avec une vraie qualité de vie, mais j’y reviendrais. Les installations dont nous disposions pour la CAN étaient superbes, bref, j’avais bien accroché avec ce pays. A mon avis, les difficultés d’adaptation qu’on peut avoir (ou pas) sont liées à l’assimilation d’une culture, ou de l’art de vivre et de fonctionner du peuple. L’Egypte allait bien alors, l’équipe nationale tournait à plein régime à ce moment-là. Sans compter ses clubs, omniprésents en Coupes d’Afrique.
Justement, c’est là que vous avez rebondi après la CAN…
Après cette CAN égyptienne, j’ai renouvelé mon contrat avec la Guinée, qui avait atteint les quarts de finale. Mais, pour diverses raisons, on s’est séparé quelque temps plus tard, alors que l’objectif était de se qualifier pour la CAN 2008. J’ai alors été contacté par un manager égyptien qui m’a présenté une offre d’Ismaïly, le club égyptien. Je me suis déplacé et j’y ai vu un club très bien structuré et avec des internationaux. Une chance, j’avais des joueurs de qualité. Cette saison-là (2007), j’ai terminé 2e ex æquo avec le Zamalek du Caire qu’entraînait Henri Michel. On a également atteint les demies de la Coupe d’Egypte, où l’on s’est incliné 2-0 devant le Ahly cairote.
Malgré ces bons résultats, vous n’êtes pas resté. Pourquoi ?
Il se trouve qu’à cette même période, je souffrais d’un problème articulaire au genou. J’ai demandé au président de pouvoir rentrer en France pour subir mon intervention, afin d’être prêt pour la reprise. J’ai déposé mes documents au club, et je suis parti me faire opérer. Alors que je commençais à peine la rééducation, je me lève un matin et découvre sur internet que j’ai été remplacé !
Que s’est-il passé exactement ?
Déjà, j’appel le chirurgien pour savoir si je peux voyager, mais il me fait savoir que je dois pas bouger. Malgré tout, je décide de repartir en Egypte. Je débarque en chaise roulante, avec béquilles. C’est comme ça que je me rends à l’entraînement d’Ismaïly où le nouvel entraîneur n’a pas encore pris ses fonctions. Je donne mes consignes aux adjoints et à ce moment-là, le directeur sportif m’appelle et me dit : « on a décidé de te remplacer ». Pourtant, je n’ai commis aucune faute. Je demande à ce que tout cela soit écrit, et effectivement, je repars avec un courrier qui explique que j’ai été remplacé pendant ma maladie. Je rentre en France et dépose mon dossier auprès de la FIFA. De son côté, le président d’Ismaïly m’explique : « Vous allez gagner mais qu’importe, je ne serai plus président du club ». Hélàs, la FIFA m’a sanctionné d’une amende de 50 000 dollars, au motif que je serais parti sans autorisation. Incroyable, alors que j’avais tout fait dans les règles ! Je change d’avocat et je charge Maître Bertrand de faire appel de cette décision auprès du TAS. Le TAS m’a finalement donné gain de cause.
» Smouha, une expérience mitigée »
Hormis cette fin de mission compliquée, quelles sont vos impressions sur ce championnat égyptien ?
Je l’ai trouvé de grande qualité, plus relevé que ceux du Maroc et de Tunisie. J’avais aussi une grosse équipe, ça aide. Le public était très présent, c’était chaud. Je vivais à l’hôtel, et j’avais comme adjoint l’ancien international Faouzi Gamal, qui parlait français. J’ai pas mal dialogué avec lui et au final, ce fut une belle expérience. Sur le plan continental, on avait éliminé le Wydad de Casablanca, entraîné par Ladislas Lozano et on a ensuite sorti le Nkana Red Devils de Zambie. On aurait pu aller loin dans cette compétition.
Il vous a fallu attendre trois ans pour goûter de nouveau au foot arabe. Du côté de l’Egypte encore…
Effectivement, j’y suis revenu en 2010. J’ai été contacté directement cette fois par le président du club de Smouha. C’est l’un des clubs de la ville d’Alexandrie, qui m’avait tant plu en 2006. Smouha venait juste de monter, le président était un milliardaire, fabricant de jus de fruits. Il me connaissait de mon passage à Ismaïly et savais que j’étais libre. Je me suis déplacé, j’ai beaucoup hésité parce que je voyais une équipe limitée. L’ambition du prési était énorme, les moyens importants. Et il m’a mis dans des conditions magnifiques. J’y suis allé avec mon adjoint Nicolas Santucci. Comme l’équipe était limitée, on a fait beaucoup, trop, de matches nuls.
Quelle solution proposiez-vous à votre président ?
On ne décollait pas au classement mais à la trêve je me suis dit que le prési me donnerait les moyens de renforcer et remodeler l’équipe. Au lieu de ça, le manager général a fait son recrutement. On s’est embrouillés et ça s’est terminé par une séparation. Je savais que ce serait une mission difficile, je manquais trop de qualité aux avant-postes. J’ai des regrets, oui. C’est dommage, car le club ne manquait ni de moyens ni d’ambitions, et fonctionnait bien sur le plan professionnel. Quelques semaines après mon départ, les événements ont commencé là-bas. J’habitais près d’une église copte, et j’ai su qu’il y a du grabuge dans mon quartier.
Il faut croire que votre destin est lié pour beaucoup au football du monde arabe puisque c’est encore dans cette région que vous avez rebondi…
Oui, et c’est la Mauritanie qui m’en a donné l’opportunité. C’est une mission qui pouvait faire basculer ma carrière d’un côté comme de l’autre. Je prenais des risques en acceptant ce challenge. J’ai été mis en relation par l’intermédiaire de Jean-michel Bénézet, qui travaillait pour la FIFA. Je me suis déplacé. A l’époque, la Mauritanie était 206e mondiale. Je me suis posé les bonnes questions : comment le pays, vu son potentiel, pouvait être 206e ?
» J’ai qualifié la Mauritanie pour sa 1re compétition internationale »
Et vous avez signé !
Oui. J’y suis resté trente mois, soit deux ans et demi. Je précise que je vivais à Nouakchott. Mon quotidien était de superviser les matches de D1 et D2 nationales, j’ai commencé par la base : sortir une équipe de joueurs locaux, avant de reconstruire les A. Pour séduire les pros, il fallait montrer son sérieux. On a eu des débuts difficiles, on a joué la Palestine, en Iran, l’Egypte à Dubaï, tout ça avec les locaux. C’était l’opportunité de rôder la qualité de jeu. On a accepté tout ce qui se présentait, et on n’a pas connu de grosses déconvenues. On faisait face, avec abnégation, et cela a permis de créer un groupe avec un mental fort.
Et il y a eu le CHAN, la seule compétition dans laquelle la Mauritanie était inscrite…
On était engagé en éliminatoires et on a sorti le Liberia chez lui et le Sénégal chez nous (2-0). Ca a créé un très gros engouement. Le Chef de l’Etat était au stade. Il a demandé à me rencontrer après notre qualification historique pour le CHAN 2014. Il a décidé de soutenir la fédération et de nous donner les moyens nécessaires à une bonne préparation pour ce premier tournoi auquel les Mourabitounes allaient participer.
Le CHAN en Afrique du Sud a été un vrai point d’orgue pour vous…
Les Mauritaniens s’identifiaient à cette équipe, et rêvaient d’exploits. Notre équipe, je la comparerais à l’Afrique du Sud lors de la dernière CAN : joueuse et pas calculatrice. Malgré notre élimination au premier tour, on a donné à mon sens une belle image des sportifs mauritaniens. Après, on a disputé le tournoi sans notre atout offensif majeur, Ismaïl Diakité, qui avait signé entre temps au CS Hammam Lif. Lors de notre dernier match de poule, Moulay Bessam a même été désigné meilleur joueur.
Et vous avez enchaîné sur les éliminatoires de la CAN 2015…
Pour aller aussi vite en terme de progression, j’ai demandé beaucoup d’efforts à tous. J’ai bien conscience que j’ai pu froisser des gens en mettant la barre très haut, en exigeant une grande rigueur, avec mes dirigeants aussi. Dans cette période de mise en place des A, on a battu le Canada, fait un nul contre Oman de Paul Le Guen. Des joueurs comme Adama Ba, Diallo Guidileye ou encore Abdoul Ba nous ont rejoints. On a été éliminés au printemps 2014 par l’Ouganda. Il me restait six mois de contrat quand tout s’est arrêté. Le président m’a dit qu’il voulait passer à autre chose. Moi, je sais qu’on a bien défriché. Quand je suis parti, avec mon staff, la Mauritanie était 115e, elle avait gagné 91 places au classement FIFA. C’est dur d’être démis mais je suis en pais avec moi-même, je suis fier de mon travail. Mais cela ne s’est pas fait tout seul, j’ai un président ambitieux et un secrétaire général que beaucoup de fédérations rêveraient d’avoir.
Ce parcours de quinze ans ne s’est traduit par aucune mission dans les pays du Golfe. Pourquoi ?
Je voyais bien qu’il y avait ce potentiel dans ces pays, et des challenges intéressants à relever. Mais je n’ai jamais eu l’opportunité d’y aller. J’ai eu cinquante fois des contacts, mais il n’en ai jamais rien ressorti jusqu’à aujourd’hui. Je n’ai pas de manager attitré, je ne sais pas pourquoi en tout cas ça ne s’est pas fait. Peut-être que j’ai plus d’affinités avec le continent africain. Bref, c’est quelque chose que je peux encore faire. Une carrière, ce sont des résultats, mais aussi des rencontres et des réseaux. Vahid Halilhodzic au Japon, c’est évidemment le fruit d’une rencontre ou d’un réseau.
Le football arabe se prépare à une échéance majeure, la Coupe du monde 2022. Quelle est votre vision des choses ?
Le football est très présent dans le monde arabe. Ce n’est pas forcément là qu’il y fait le plus de spectacle ou de public. Après, je crois juste qu’on lui ait donné cette ouverture. Le Qatar a l’organisation, et on peut lui faire confiance sur le plan des installations et de l’organisation. Les moyens sont considérables, et il y aura la volonté que ce soit une réussite pour le pays, le football et le monde arabe. C’est quelque chose qui, à tort ou à raison, a été difficile à accepter pour certaines personnes dans le monde occidental. Mais le football est universel. Je sais qu’ils vont y arriver. 2022 sera une réussite ! »
Propos recueillis par @Samir Farasha